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Congo in conversation - expo photos

Photographie : le Congo vu de l’intérieur

Finbarr O’Reilly a transformé son prix Carmignac de photojournalisme en un stimulant travail collectif avec des photographes congolais, pour aboutir à un livre, un site Internet ainsi qu’une exposition en plein air à Paris.


Lorsque le soir tombe à Goma, en République démocratique du Congo (RDC), les coupures d’électricité sont monnaie courante. Dans ce pays au taux d’électrification parmi les plus bas du monde, les infrastructures obsolètes peinent à fournir même les grandes villes. Et les écoliers comme Marie, 13 ans, étudient à la lueur des téléphones portables. On la regarde, volontaire et concentrée, penchée sur son devoir de mathématiques, sur une image exposée sur les grilles du square de la Tour Saint-Jacques, à Paris. C’est sa petite sœur que la Congolaise Arlette Bashizi a photographiée chez elle, pendant le confinement en avril 2020, pour son reportage réalisé dans le cadre du prix de photojournalisme de la Fondation Carmignac.


Alors que cette bourse, l’une des plus généreuses du secteur avec sa dotation de 50 000 euros, sert en général à financer l’envoi d’un reporter dans un pays lointain, l’année 2020 a accouché d’une formule originale : le lauréat 2019, l’Irlando-Canadien Finbarr O’Reilly, a collaboré avec une dizaine de photographes congolais qui ont produit des reportages sur leur propre pays. De quoi conférer une tonalité authentique et intime au résultat, intitulé « Congo in Conversation », qui prend la forme d’un site Internet toujours en cours, d’un livre et d’une exposition. Le photographe Justin Makangara, qui a également travaillé sur la question du réseau électrique dans la capitale Kinshasa, y décrit les enfants qui jouent à des jeux vidéo grâce à des générateurs, les fers à repasser nourris au charbon de bois et les allées et venues quotidiennes au marché en raison de frigos inutilisables.



Mais il a aussi témoigné à la première personne d’un problème qui l’affecte lui tout autant que ses sujets : « Pour envoyer les photos de cet article, charger complètement mon ordinateur et disposer d’une connexion Internet digne de ce nom, cela m’a pris cinq jours », raconte-t-il sur le site.

A l’origine, Finbarr O’Reilly, 50 ans, photographe familier de l’Afrique qui a vécu au Congo au début des années 2000, avait l’idée de décrire le pays vingt ans plus tard : les crises à répétition mais aussi la vie quotidienne et les communautés qui s’organisent pour lutter et améliorer les choses. Cet ancien de l’agence Reuters, auteur de Shooting Ghosts (ed. Viking, 2017, non traduit), un livre où il revient sur les cicatrices invisibles héritées des conflits qu’il a couverts, a rapidement changé son fusil d’épaule en 2020, bousculé par la pandémie mondiale. « J’ai commencé un reportage sur la fin de l’épidémie d’Ebola, raconte le photographe rencontré à Paris début janvier. Puis les frontières se sont fermées. Au lieu de laisser tout tomber, la fondation Carmignac a accepté de partir sur un projet bien plus large et coopératif. Je connaissais déjà plusieurs photographes congolais, que j’ai contactés, et d’autres nous ont rejoints, pour montrer le pays en ces temps de pandémie. »


Photographe, Finbarr O’Reilly s’est donc transformé en coordinateur et commissaire – un rôle déjà endossé jadis comme chef des photographes en Afrique Centrale pour Reuters. « J’ai proposé des sujets, sélectionné les photos et écrit les textes à partir des témoignages des photographes, pour ajouter du contexte en direction des lecteurs extérieurs au pays, mais la majorité des idées sont venues des photographes congolais », souligne-t-il. Pour lui qui avait déjà collaboré avec des photographes éthiopiens, ce travail collectif n’est d’ailleurs pas une simple question d’opportunité, mais de justice. « Il est important que ce ne soit pas seulement des photographes blancs qui contrôlent le récit sur le Congo, dit-il. Il y a des choses qu’on ne peut pas voir lorsqu’on est étranger. Et à l’inverse, j’apporte une vision différente de ceux qui y vivent. Les deux, ensemble, donnent une vision plus riche des choses. »


Le photographe enfonce le clou dans l’introduction du livre, où il rappelle combien l’histoire du Congo, bien avant la colonisation belge, a toujours été illustrée par des photographes étrangers – dont lui-même. Ces derniers ont forgé une représentation durable du pays, marquée « du sceau de la violence et de la brutalité ». Et Finbarr O’Reilly de saluer les réflexions entraînées, à l’échelle mondiale, par le mouvement Black Lives Matter : « Le monde ne peut plus être raconté, comme cela l’a été pendant des décennies, seulement par ceux qui ont l’argent et l’opportunité de le faire, c’est-à-dire les photographes blancs hommes. » La plate-forme Congo in Conversation, qui a attiré l’attention sur les photographes congolais et créé des opportunités, n’est pour lui qu’un premier pas. « Dans le monde du journalisme, on parle beaucoup de diversité, mais on doit aller plus loin, c’est l’égalité et la justice qu’il faut viser. Le but n’est pas seulement que les photographes africains racontent leur pays, mais qu’ils gagnent des prix internationaux, qu’ils viennent chez nous raconter les nôtres. »


Bernadette Vivuya, la seule Congolaise du groupe qui a pu faire le voyage pour l’exposition parisienne en janvier, œuvre ainsi à donner une vision plus complexe de son pays. « Il faut inclure les voix congolaises, pour aller au-delà de la guerre et de la violence. On ne nie pas les réalités, mais on peut montrer qu’il y a une vie qui continue, des gens qui s’adaptent et qui luttent. » La jeune vidéaste aime à montrer les « héros de l’ombre » et la résilience des Congolais, orphelins de guerre ou victimes de violences sexuelles. Pour le prix Carmignac, elle a filmé les répétitions clandestines d’un groupe de danseurs qui, forcés à se confiner, répètent coûte que coûte pour un prochain festival hypothétique.


La question de la décolonisation et du postcolonialisme, brûlante en Europe et aux Etats-Unis, est traitée de façon stimulante sous un double regard. Pamela Tulizo a travaillé en Belgique, où une statue du roi Leopold a été vandalisée, et Justin Makangara a photographié au Congo où la question se pose de façon bien différente : le pays a rejeté les symboles du colonialisme sous l’ère du dictateur Mobutu, à la fin des années 1960. Mais, assure Bernadette Vivuya, « tout n’a pas disparu d’un coup de baguette magique, et les traces du colonialisme persistent dans notre quotidien ». Pour Congo in Conversation, la jeune femme a travaillé avec sa collègue Raissa Karama Rwizibuka sur l’activité des salons de coiffure pendant le confinement, avec un reportage qui célèbre la créativité des coiffures africaines, mais qui souligne aussi combien les normes de beauté valorisent encore les chevelures lisses et défrisées, en référence au modèle occidental.


Les reportages, racontés à la première personne, montrent aussi l’immense difficulté qu’il y a à être photographe au Congo. Dieudonne Dirole, qui témoignait de l’irruption d’une milice à Bunia, raconte s’être fait tabasser, enfermer et confisquer son matériel par l’armée. Guylain Balume, tombé sur une attaque contre des gardes du parc national des Virunga, a dû renoncer à filmer après des menaces. « L’image est en soi un acte de résistance », souligne Bernadette Vivuya qui n’entend pas renoncer, pas plus que ses collègues. Le projet de la Fondation Carmignac se poursuivra en 2021, avec un reportage par mois, dont celui de Finbarr O’Reilly, qui espère bien revenir ajouter son regard à celui de ses homologues congolais.


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